JE SUIS ICI — Léo Henry

Tu regardes les yeux pleins de larmes les pauvres immigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leurs odeurs le hall de la gare Saint Lazare
Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages
Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune

(Apollinaire – Zone)
16.08.06

Rio de Janeiro - Paraty

Linha Amarela.
Un PM en civil, genre bad boy angelino dans un film d’action, fait signe aux véhicules de circuler. Aussi surprenant que cela puisse paraître, un homme qui brandit un fusil d’assaut est plus inquiétant encore sans son uniforme.
Les candidats à la députation étalent leurs gueules béates sur les murs de favelas. Affichage illégal sur constructions illégales : rien à redire.

La nuit tombe sur la Mata Atlantica (à peine un maigre sous-bois, sans doute, pour les amazoniens). La terre, les arbres, les vergers de cocotiers exhalent deux tonnes de vapeur d’eau, qui stagnent en nappes lumineuses.

La terre est en danger !
Canicules, tremblements de terre, tsunamis !
C’est qu’une planète rouge extra-terrestre approche à grande vitesse !
Apprenez la vérité !

Le Tocorimé Pamatojari (‘esprit d’aventure’ en tupi-guarani) est un bijou en bois plein de recoins fonctionnels, bâti à l’économie et à l’esthétique. Un casse-tête d’arbres du Pará admirablement chantourné.
Si le voilier peut tailler quatorze noeuds, il se contente cette nuit de balancer au rythme de notre ivresse. Ca croque et ça craque, comme une pluie d’été sur un toit de tôle.

Raté le FLIP (quatrième festival littéraire au monde) et Toni Morrisson.
Vu la très belle villa de la mère de Thomas Mann, où son fiston venait la visiter quand il n’était ni dans les Alpes suisses, ni à L.A. à disputer un set avec Schönberg.

17.08.06

Paraty - Ubatuba

Une coccinelle en bon état ? Aller à Cunha, au-dessus de Paraty.
1000 à 2000 reais pièce, état impec. Demander Zé et ramener la pinga.

Un plein bus de lycéennes pour trois hommes en âge de procréer = le rapport idéal du Dr Folamour pour repeupler la planète après l’apocalypse.

Halte pluvieuse à Camburi-sous-forêt.
Fléchés : cascade, état de Rio, plage, état de São Paulo. Au milieu de cette rose des vents, un bar ouvert et sombre, sans électricité. Le chemin de terre s’appelle rua principal.

Un mélomane expert siffle, sans fausse note, le solo de guitare du Europa de Santana.
Il est 76h83 à Ubatuba, tropique du Capricorne, face à la mer gris acier.

Rock à fond, public en délire, solos de batterie et femmes en transe. Pas de panique, ce n’est que la Sainte messe du soir à l’Eglise Universelle du Règne de Jésus. (A moins que ce ne soit l’Eglise Internationale de la Grâce de Dieu ?)

79h36. Les six propriétaires des six baraques à x-burger scotchent en parallèle devant la novela das oito, assis sur des chaises en plastique de camping. Lazaros Ramos y fait le pitre, se claquetant les joues, pour la plus grande joie du pays et la gloire éternelle de la Rede Globo.

18.08.06

Ubatuba - Bertioga

Vues du haut des côtes, les banlieues sont des clairières, taillées rondes dans une forêt qui, décidément, ne luxurie pas qu’un peu. Les villes d’ici doivent être quasi-invisibles aux yeux de Google Earth.
« J’habite un pays tropical / Béni de Dieu / Et joli par nature »

Caraguatatuba.
Cèdre vert, étoile de David bleue. Ce n’est pas Beyrouth 2006, mais bien une station balnéaire atlantique hors-saison. Snacks pseudo-arabes, location de voitures.
Plus haut, une pousada syncrétiste annonçait Jeman Jah.

Boracéia sous le crachin, beau comme un fado. Le centre ville est une station-service. Il paraît que des Indiens se cachent dans les parages, sans Pepsi-Cola ni ADSL.
Le gens s’y arrêtent si rarement que le bus en oublie d’encaisser le prix de ma fuite.

Riviera de São Lourenzo.
Le Village du Prisonnier, avec laboratoire de veille écologique, organisme d’urbanisation globale et loge maçonnique. Un portail néo-classique bardé de caméras marque l’entrée-sortie de ce paradis très exclusif.

Bertioga.
A trois mois de là, le patron a quitté la grand’ville pour acheter ce kiosque de plage. Adieu embouteillages et soucis constants du paulista ! A lui la dance à fond les ballons, la ptite femme de 20 ans, les parties de beach-soccer dans le noir !
(Mon Dieu, mais c’est Phil Collins qui reprend The Show Must Go On ?)

19.08.06

Bertioga - Peruíbe

Les marins pêcheurs, emballés dans des cabans de mémés façon sacs poubelle dealent leurs poissons en bout de quai. Un chien crétin s’ébroue au milieu de la rue, sans sortir de sous la pluie.

Guarujá.
La salle d’attente du ferry a été refaite par le sénateur-candidat Geraldo Alkmin. Un hangar tout orange, poutrelles apparentes et vue sur le port, style növö-estonien.
On y fait des prières minutes en feuilletant une bible gondolée avant de traverser la baie.

Santos.
Port de São Paulo. Epaves de chaluts de pêche, cargos chinois aux idéogrammes qui bavent, aux coques rouillées, entrepôts coloniaux verdis de mousses et de lichens.
Un palais haussmanien accueille le Musée des Cafés. C’est d’ici que sont parties, le 15 janvier 1910, les douze tonnes d’arabica offertes aux Parisiens, alors empêtrés dans la crue centenale.

« Jamais je ne conseillerais à un touriste de descendre vers le sud. Il n’y a rien, là-bas, que des usines et des voleurs. Vous feriez mieux de faire demi-tour, de rentrer à Rio ! »
Espérons que la pythie du jour se gourre.

La route est hideuse, bordée de blocs anarchiques. Toutes ces boîtes sont de première génération : avant il n’y avait rien et ces villes-nouvelles n’ont connu l’homme qu’au volant de sa voiture.

Peruíbe est une sorte de bout du monde, avec ce type de paysage long et triste que je ne pensais rencontrer qu’en Uruguay. Partout des hôtels-HLM à l’abandon, des immeubles à moitié construits, des résidences secondaires jamais visitées. La pousada où je descends est à vendre depuis la saison dernière.

Ils démontent un Luna Park miteux, drapeaux français en berne au-dessus du manège. Un banquier joue au buste de bronze à la fenêtre de son guichet.
Toute la ville ressemble à un putain de Hopper.

Sorte é de Adão : não tinha sogra, nem caminhão.
Les routiers sont sympa, même avec la saudade :
« Adam était veinard : ni belle-mère, ni camion. »

On pourrait passer sa vie ici s’il faisait un peu meilleur, calmement ennuyés face à la mer.
On irait se tremper le cul dans les modestes rouleaux, on arpenterait les rues désertes sur des bicyclettes de location. Le soir, sur le patio vide, on écrirait des petits romans à la Modiano en caressant un chien gris qu’on appelerait Riviera.

20.08.06

Peruíbe - Cananéia

ATENÇÃO : DENGUE ! – peint en blanc, en grand, sur le mur d’une maison
Empresário mata três filhos e se suicida em Alphaville. – une du Diário de SP
PT : o partido do Botox. – dossier spécial de la revue Veja

Juréia Itatins est une réserve indigène et écologique. Une belle chaîne de mornes aigüs, intouchés même des pilônes électriques. Une piste la traverse, ouverte une semaine dans l’année, pour permettre aux autochtones de festoyer avec les sauvages. Il y a des sentiers, aussi : penser à louer les services d’un guide et compter trois jours de marche pour la traversée.

Toute une littérature des billets de banque, petite prose au stylo dans les coins. Souvent ce sont des imprécations religieuses, parfois des mantras plus terre-à-terre :
« Qu’il fasse un petit tour dans ta poche et revienne dans la mienne au plus vite ! »

Luiz Henrique Gonzaga (orkut : Luiz Henrique Gonzaga) joue de la viole caipira. Quand il sera célèbre, il m’enverra des mails pour que je ne rate aucun de ses passages télé. En attendant il est serveur, la faute à deux oncles qui ont noyé dans la cachaça la fortune grand-paternelle.
« Va te faire enculer ! Fils de pute ! »
En échange d’une leçon de français de survie, il m’emplit les poches de caramels et de bonbons au citron.

Elles descendent en rase campagne, une vingtaine de bornes après la dernière ville. Au milieu du champ, coincée entre deux bananeraies, le Casanova Night Club. Enseigne suggestive à l’aéographe, spéciale routier engorgé. L’une est blanche et morne, campagnarde. L’autre est un homme (les mains ! regarde toujours les mains !).
Je me demande si Giacommo le Vénitien s’amuserait du tableau, s’il tirerait orgueil de retrouver son nom partout, à trois siècles de distance. Et je me dis qu’il y a tant à écrire, encore, et que la vie n’y suffira pas.

Le type brésilien a changé en même temps que la flore. Plus d’Indiens, de Japonais et d’Arabes, de pins et d’orangers, plus de métisses surréalistes. Le sud-est baigne dans un accent paysan très étrange, ou certains R sont mâchouillés, engolis à l’étatsunienne.

Des huit cents, des mille mètres d’altitude. Mine de rien, ça vaut le massif vosgien...
Sauf que c’est tout vert, profond comme un édredon, que c’est vide de toute maison et que ça tombe, pouf, dans la mer.

21.08.06

Cananéia - Irajaí

Fracasso !
Il n’y a qu’un mot, ici, pour attendre et espérer.
Je n’ai vu ni le Grand Canyon, ni le Machu Pitchu. J’ai raté également l’Ilha do Cardoso, faute à des distributeurs récalcitrants, à des tarifs prohibitifs pour les non-résidents.
Mais j’ai surtout laissé passer ma chance de repartir en voiture ce matin, dans une renault pourrie droit sortie d’un road movie, en compagnie de mes voisines de petit dej’ et pour une destination qui restera à jamais inconnue.
Me voilà à espérer l’autobus, attendant que les jours à venir me trouvent plus chanceux.

Aire autoroutière Buenos Aires (Registro).
Avec mes derniers sous, sur le dernier siège du bus, je suis Daví jusqu’à Irajaí (état de Santa Catarina). Il me jure que c’est une belle cité côtière, où l’on trouve agences bancaires et logements bon marchés. Tant mieux.

Daví revient d’une campagne de pêche : trois mois de boulot au large de Cananéia. Sorties en mer de dix à quinze jours, nuits de trois heures, cals pleins les mains à force de tracter les filets. (« Une fois on a pêché un requin blanc. Dans son ventre il y avait un autre requin, plus petit. »)
Daví rentre quelques semaines à Navegante, voir sa femme mariée de fraîche date, et jouer un peu de violon dans l’orchestre de la paroisse. Il sait déchiffrer les partitions de toutes les musiques mais ne s’intéresse qu’aux cantiques. Il n’y a qu’eux, il le sait, pour le rapprocher du Salut.

Paraná.
De vraies montagnes. La dernière chose que je m’attendais à croiser aujourd’hui. Très belles, très vides (Mon Dieu, que cette planète est donc déserte !). L’autoroute y passe coupée en deux : trois voies d’un côté de la vallée, trois voies de l’autre. Pas de demi-tour possible avant cent vingt bornes.
On croise un cavalier, coudes écartés, au galop sur la bande d’arrêt d’urgence.

Au-dessus de Guaruva.
Pan pierreux, noir, déchiqueté dans le crépuscule.
Sur le tablier du pont autoroutier :
WELCOME TO HELL

Irajaí, donc.
Faire dix mille bornes pour se retrouver en Moselle, bravo ! Il fait un froid de gueux dans cette ville d’aryens, et ça ressemble à peu près autant au Brésil que les tours de Trappes à la Ville Lumière.
Le moto-taxi se fout de moi. Il peut, je m’en bats. La course sur son engin diabolique m’a laissé transi de peur.

22.08.06

Irajaí - Florianópolis

L’eau vient du barrage hydroélectrique : si vous restez trop longtemps sous la douche, vous prenez un coup de jus. C’est marrant.
(Non).

Il paraît que les passeports brésiliens sont les plus courus au marché noir. Nelson Mandela ou Helmut Kohl, Hugo Chavez ou Kim Jong-il... le monde entier a un air d’ici, en fait.

L’église de la Matrice semble en légo ou en stuc, comme un de ces bâtiments Vieille Europe de Disneyworld.
« C’est notre carte postale à nous. Une copie d’une église étrangère. Allemande, sans doute. »

Sittin’ on the dock of the bay, waistin’ time...
Le gardien a traversé tout le terrain vague à grands pas pour me faire lever. « Reste debout, sinon le mec de la tour de contrôle va penser que tu fumes un joint... » Dans ses jumelles, cette précieuse vigie peut tout surveiller à 700 mètres à la ronde.
Une sandale de femme surnage dans le bassin parmi les débris d’un ponton effondré.

Hôtel bunker désaffecté, squatté par une famille d’indiens. Leurs chevaux maigrichons broutent entre les ordures du terrain vague. Moi je prends des photos : il y a un an et un jour, j’ai écrit une histoire qui se passe ici, exactement.

A la proue du cargo-usine, un grand noir en tenue orange se la joue Leonardo di Caprio et beugle la chanson de Titanic d’une voix de fausset. Son voisin crache dans l’eau pour voir grandir les ronds. Les badauds sur le quai profitent du show gratuit et prennent le soleil.
A croire qu’il n’y a que moi qui bosse dans ce fichu port.

Camboriú est une nouvelle de Vermillion Sands.
Des centaines de tours pastelles aux carreaux luisants, entre lesquelles on construit de nouvelles tours pastelles aux carreaux luisants. Parfois un vieux, au balcon d’un 23ème étage. (C’est comme un nuancier de piscines verticales à travers lequel volerait sans bouger un monsieur chauve à la retraite).
Au bout de chaque rue, la mer.

Floripá.
Il a un plan pour devenir millionaire : se lancer dans l’exportation d’açaí à destination de la France.
Si le boss de cette pizzeria réussit son coup, laissez-moi vous dire que votre existence va changer du tout au tout.

23.08.06

Florianópolis - Imbituba

Gustercindo aime Dieu. « Putain, mais Dieu il est trop sympa, mec ! »
Descendu de Salvador de Bahia, il a une semaine pour trouver du boulot ici. Je l’accompagne, chômeur solidaire, dans son circuit de dépôts de CV. Idéalement ce serait un job dans l’informatique (il a bossé pour Toshiba), mais il peut aussi donner des cours de capoeira, de jiu-jitsu.
Gustercindo a 22 ans et vient de perdre son père. Il espère ne pas avoir à rentrer dans le Nord la queue basse. Il compte un peu sur les sous du bâtard qui a racheté sa caisse avec un chèque en bois. Et puis il parle à Dieu, matin midi et soir, pour ne pas qu’Il le laisse tomber.

Parvis de la Cathédrale de Florianópolis.
Attendre des gens que l’on ne connaît pas dans une ville où l’on vient d’arriver (dans un ville dont on va repartir sous peu). Le Péruvien de service souffle Gimme gimme gimme dans son pipo de pan.

Aurélie est à Floripá pour les vacances. Niló revient juste d’Alsace.
Ils forment un couple mixte, strasbourgo-florianopolite, le cul entre deux chaises qu’un océan sépare.
Où la vie sera-t-elle plus facile pour eux ? Et pour chacun séparément ? L’équation est complexe et ne prète pas à rire.
Sur la place du 15 Novembre, le figuier continue de pousser, au même endroit depuis deux cents ans. Les gens du cru lui ont posé des béquilles d’acier.

Imbituba.
Vous êtes au coeur de la zone de reproduction de la baleine franche. 1230 km de Rio de Janeiro. 1450 km de Buenos Aires. Vous buvez des bières Antartica face aux vagues, en pensant aux amis. Ensuite, calmement ivre, vous tentez de décrire les états de la mer :
elle se lève et fonce        en vert
fronce en blanc    puis s’étale
sans hâte
à la  latérale
(Personne encore ne sait que vous êtes là)

24.08.06

Imbituba - Sombrio

Le zyeuteur de baleines est cousin de l’auto-stoppeur. Il doit choisir son endroit, être pourvu de suffisament d’eau, ne pas quitter des yeux son objectif. Etre patient.
La peau de la mer miroite, voile pudique jeté sur des scènes cochonnes d’une insoutenable sensualité.

J’aime à croire que ce coin de littoral ressemble au Big Sur des années 30, à la Côte d’Azur de l’entre deux guerres. Quitte à choisir un patronnage, autant optionner de suite Steinbeck et Hemingway.

Laguna est la ville de naissance d’Anita Garibaldi, Héroïne des Deux Mondes. Fusil au poing, tête haute et mamelle conquérante, elle tend un bras d’airain vers le ciel en imprécation. Morte en Italie en 1849, elle fut coulée dans ce bronze cent cinquante ans plus tard.
Sur un banc public : Nego est un fils du pute. Leo, tu es beau.

Duel musical entre deux candidats : les sound systems adverses se croisent, les hymnes respectifs se mélangent (probité vs. compétence, réforme vs. plein emploi...)
On s’amuse à imaginer un équivalent français pour les présidentielles : une flotille de sarkomobiles diffusant la bonne parole sur une musique de Sardou.

C’est un peu provençal, très calme. Des maisons centenaires, des ruelles, un port historique où des pècheurs du dimanche viennent se tremper la ligne... On pourrait habiter cette ville, aussi.
Au bout d’un temps on oublierait qu’elle porte un nom de berline pour cadre supérieur.

Une voie de chemin de fer, unique, que je suis depuis deux jours.
Elle sert de sentier, de salon, d’estrade par endroit, et de frontière.

Sombrio.

A voir, à faire (en soirée)
Matchs de troisième division, à regarder entre amis au bar de Pedrão.
On peut aussi discuter le prix des bières à la station service Ipiranga.

Se restaurer (frugalement)
Lanchonete do Alemão, o melhor X da cidade
Effectivement le meilleur de la ville, en particulier pour les amateurs de taches de gras. Curiosité : le patron ressemble trait pour trait à Hannibal Lecter !

Se loger (bon marché)
Hotel São Cristovão
Juste en face de la station service Ipiranga, mais de l’autre côté de la voie rapide. Bonne ventilation, animation nocturne. La savonette est taillée au hachoir dans un pain de deux kilos.

25.08.06

Sombrio - Porto Alegre

Revu la maison-dans-mes-rêves. Le passage où il faut avancer à quatre pattes a été muré. J’ai aussi beaucoup grandi par rapport à certaines de ses pièces. Un sympathique vieux bonhomme proposait de me louer une chambre à l’intérieur et je me réjouissais de ne plus avoir à faire le mur pour l’explorer.
(Cette maison-dans-mes-rêves explique mon goût pour des choses aussi diverses que J.L. Borges, Lara Croft et les friches industrielles.)

Rio Grande do Sul.
Un arbre colossal aux branches obèses, comme autant de troncs de marbre. Une lagune brune et argent, miroir sale. Ce matin je reste dans mes songes et le dernier roman de Sabato.
Hölderlin l’a bien dit : « Nous sommes des dieux durant notre sommeil et des mendiants lorsque nous nous éveillons » - L’Ange des ténèbres p.104

Porto Alegre.
Une vendeuse de rue inspecte son maquillage dans le minuscule reflet de l’un de ses coupe-ongles. Les gens se bousculent et se sourient sur les trottoirs trop étroits.

Parque das Farroupilhas.
Minerve en arme, écumante d’une rage légitime, foule au pied l’hideux serpent du nazi-fascisme.
Un monument aux trente morts brésiliens de la Seconde Guerre Mondiale, dans un style mussolinien très seyant.

Les militaires à l’entrée, enkakifiés et patibulaires comme il faut, se mettent au garde-à-vous pour nous laisser entrer. Les talons claquent.
J’avais oublié que Sandra est gradée, et profite au mieux du show à l’heure de ressortir.

Une cinquantaine de gauchos sportifs courent en cercle sur la piste plastique imitation gravier. Mères, filles, rocker gras qui sue et vieux black torse poil... Vinícius galope comme un poulet décapité : le 3 septembre il monte à Rio disputer un semi-marathon.
Le jeu vidéo le plus nul du monde : un simulateur de tour de stade. Jambe droite X, jambre gauche O, en rythme, s’il vous plaît. Plus de 500 terrains au choix. 99 € sur PS3.

26.08.06

Porto Alegre

Des poissons-chats aux yeux flous, décongelés il y a peu, baîllent pour fêter leur retour à la vie. Tout à côté, en camaïeux de verts, les vingt-trois sortes de ce maté que l’on suçote avec ferveur, d’ici jusqu’au Cap Horn.

La fondation artistique de la banque Santander a ouvert un café à l’intérieur d’un coffre-fort.
Le client claustrophobe s’empresse de vérifier, une fois passée la porte blindée, qu’une issue de secours a bien été forcée, au travers d’un mètre de brique et un autre de béton renforcé.

Une pile de DVD de films d’action, des prix sur l’étagère, une télé par chambre, une bougie en forme de 7 sur le gâteau trop sucré. Laura a reçu une tenue de la série Rebelde, un boléro Barbie, deux sacs à mains, deux poupées. Et – miracle ! – un livre.

Dans le Rio Grande do Sul on aime le rodéo, les ranchs, le barbecue.
On a déclaré l’indépendance cinquante ans avant le reste du pays, et par moment on se demande s’il est bien raisonnable de rester solidaire d’états vivant à nos crochets. Un peu homophobes, comme tout le monde, on a aussi inventé le ‘nègre triste du Brésil’. A chacunes de nos frontières, disputées à coups de fusils contre des métèques hispanophones, on a versé notre sang et nos larmes...
Dans le Rio Grande do Sul, on n’est pas qu’un peu des Texans.

Le portier de Sandra et Giuliano ressemble à :
a) un personnage de Daniel Clowes
b) John Travolta dans 137 ans
c) un Leningrad Cowboy mal peigné
d) Bubba Ho-Tep sans son dentier
e) tout ça à la fois

27.08.06

Porto Alegre - Pelotas

Enfermé dans la salle de bain depuis la veille, le cabot pousse des gémissement qui ressemblent aux pleurs d’un enfant hyperactif.

Partout dans le monde, les pros de la pétanque sont des vieux à casquette, à moustaches grises.
La bocha en est une variante un peu curling, qui se joue avec des boules lisses sur un terrain en synthétique. A défaut de pouvoir pointer, on accompagne son tir jusqu’au plus près du cochonnet à longs pas concentrés, presque philosophiques.

Couché sur des cartons, comatant en plein jour. Il a noué un pull autour de sa tête, pour s’isoler du bruit, dissimuler son visage. Il est en short par huit degrés et ne doit pas avoir quinze ans.
On l’enjambe prudemment, prenant bien garde de ne pas le toucher.

Scotché devant TV5 Monde, je découvre le dispensable Cuisine et dépendances. Bacri bégaye de rage à qui mieux-mieux. Mais se doutait-il en tournant qu’une lourde décennie plus tard on le regarderait encore grommeler, un soir, de Mexico à Santiago du Chili en passant par Santa Vitoria do Palomar (Rio Grande do Sul, Brésil) ?

L’Inter a gagné contre les Corinthians. Felipe Massa a enfoncé Schumacher sur le circuit turc. Dimanche chargé pour le pays : les tubes cathodiques ont chauffé et trois millions et demie de Skol ont été vidées entre amis (compter à peu près autant pour chacune des marques concurentes).

- T’as vu la lune ? Où est la lune ?
En robe de chambre sur le trottoir, il finit par l’apercevoir, entre les branches nues d’un petit arbre. C’est une rognure d’ongle horizontale, pendue en plein ciel.

28.08.06

Pelotas - Castillos

Deux jeunes gens pas très beaux se font un bisou triste.
Il fait froid malgré le soleil. Le moteur du bus tourne déjà.
Adieux.

Hectares de champs boueux où paissent des vaches enlisées jusqu’aux jarrets.
Puis le paysage disparaît comme s’achève le Brésil, bouffé par les marais, par la mer. La route se fait digue. La prochaine ville a pour nom Arbre Seul (árvore Só).

A la rodoviária de Chuy, descendez la rue Venezuela. Traversez l’avenue.
Le vendeur de cédés gravés passe Orishas à donf’. C’est le signal : vous êtes bel et bien ailleurs, de l’autre côté de la frontière linguistique.

Les billets sont presque des A4 et la plus petite coupure vaut 15 centimes d’euros. On sort une liasse pour payer son paquet de Fiesta, se voit rendre une liasse en échange.
Je sens que ça va être facile.

Ce matin à Montevideo, un gamin de huit ans qui dormait dans une poubelle est passé dans le broyeur du camion-benne. Alertés par les cris, les éboueurs l’ont emmené à l’hôpital. Il y est encore à cette heure.

L’Uruguay, ici en tout cas, à un côté pauvre-mais-digne très émouvant.
Tout y est 100% vintage, des étagères de pharmacies façon apothicaires aux nappes torchon-de-cuisine-à-mémé, en passant par les moquettes brunes et oranges des intérieurs de bus. On y porte des bretelles sur des gilets cols en V, des perfectos, des vestes beiges en velours côtelé.
Rien n’est entré dans ce pays depuis mars 1986.

29.08.06

Castillos - Maldonado

Venir ici fin août, c’est à peu près aussi malin que de visiter la Normandie en février.
Au réveil, je souffle de la buée et mon nez a congelé. Du givre fleurit sur le vasistas.

Dans tous les pays où la locution ciao est en usage, on semble également utiliser la variante cia-ciao. Garde-t-elle pour autant la même valeur amicale et décontractée ?
Voilà qui mériterait un long travail en linguistique diatopique (et une dotation conséquente du CNRS).

Sur La place de Rocha, les platanes mis à nus cohabitent avec des palmiers toujours verts. Grand soleil en terrasse, passent de belles citoyennes de la République Orientale de l’Uruguay. La vie pourrait être pire.

San Carlos.
Devant le Bar Avenida, la Skoda de l'inspecteur Derrick a été repeinte en un splendide indigo. Plus loin, une cousine de Lassie s'ennuie à l'arrière d'un pick-up Ford années 60.

Punta del Este.
« Aujourd’hui on mange des gnocchis. C’est parce qu’on est le 29. Tous les 29, c’est jour de gnocchis. En Uruguay, en Argentine, aussi. »
Franchuca ressemble à Jeanne Moreau, en moins laide. On l’imagine portègne depuis un demi-siècle, mariée à un Argentin, mariée à Buenos Aires. A tel point que lorsqu’elle parle de Lyon, on dirait qu’elle évoque une ville depuis longtemps détruite.
« C’est un bon endroit, ici, pour manger des gnocchis. »

La côte Atlantique s’arrête, tandis que s’ouvre le delta du Rio de la Plata. Des villas cossues aux noms étrangers, une cabine de téléphone poétique, un terrain vague. Et puis l’eau, de toute part, à perte de vue.

- Comment on dit en français ? Cui-cui ?
- Hein ?
- Comment on dit ? Coucou ?
- Ah... Cocu ?
- Ha ha ha.
- Cocu... Cornudo. Cocu.
- Ha ha ha ha ha ha !
Et ça fait rire le monde entier depuis Shakespeare. Au moins.

« Le bonheur, c’est une bonne santé et une mauvaise mémoire. »
Albert Schweitzer, cité en anglais et au bic dans le Pléiade que je viens d’acheter à Maldonado.
Cherchez pas, l’essentiel est que l’Alsace revienne à l’Alsace, au bout du compte.

30.08.06

Maldonado - Montevideo

(Olivia Ruiz en concert).
Cigarettes et sodas américains. Shampooings français, chocolats anglais, café suisse. Voitures allemandes ou japonaises... Non, bien sûr, ce coin du monde n’est pas une colonie. Reste que ce ne sont pas eux qui nous envoient en tournée leurs rebuts de la Star’Ac.

Le vieux Montevideo est un coin échoué de mon cerveau, un faubourg mental laissé à l’abandon. La cité parfaite, peut-être.
Je loge dans la Ciudad Vieja un palais moisi de fond en comble, aux couloirs carrelés d’azuleijos. On y vit à l’année, les chaussures sur l’appui des fenêtres et des sacs plastiques pendus dehors en manière de frigos.
Le reste du quartier est du même tonneau, d’un fantastique consommé, avec ses bicoques décrépies, ses hôtels particuliers murés et ses entrepots grand siècle aux bouts de quais tout gris.

Dans ce café on vend des articles de pêche, lignes, cannes, hameçons.
Tandis que leurs maris se burinent la gueule au vent du large, les vieilles du quartier boivent le thé et papotent, joviales derrière la vitrine poussiéreuse.

El Copacabana.
Sergio, José et l’Avocat me paient des tournées de whisky national. On parle un anglugais mâtiné de françugnol, ils me racontent quelques blagues salées sur les Brésiliens, sous le regard amusé des jeunes patrons du restau.
Le serveur, seul, tire un peu la gueule : sa journée est terminée et c’est José qui devait le ramener dans sa bagnole.

31.08.06

Montevideo

     PROBLEMA
-     R   BL        
     P   O     EMA
                         (Old City Stencil)

15 pains de 100 grammes de Trotyl retrouvés hier à Punta del Diablo, dans la cave d’un militant d’extrême droite. Au même moment, dans la capitale, on défilait contre la loi d’amnistie des fonctionnaires de la dictature.

She has decided she does not love me anymore.
Revoilà Morpheus, yeux noirs de khôl, démarche raide.

Eboueur, dans la Ciudad Vieja, est une profession libérale, qui nécessite de posséder une charette à pneus de camion et une carne à peu près valide. De jour comme de nuit, cela consiste à écumer les ruelles et à dénicher en premier les précieux sacs plastiques.

« La vie est belle. C’est juste qu’on a tendance à confondre belle et facile. »
(Mafalda)

Eclectisme historicisant : le nom technique de l’architecture d’ici. On ne saurait mieux dire.
Montevideo mériterait qu’on y tourne un grand film, une de ces fresques qui magnifient une cité et la font entrer dans l’imaginaire collectif. Que de belles histoires on raconterait ici, dans ce décor vertigineux ou les manoirs succèdent aux ruines, les blockhaus aux cafés Art Nouveau, où même les fast foods ont l’air de sortir de gravures...
Montevideo est beau comme une Venise à l’abri des marées.

Les plus belles librairies,
les plus beaux bistros
et des filles aux yeux qui ont déjà mille ans.

Daniel est la deuxième personne en moins de vingt-quatre heures à me dire que lui seul connaît la ville comme sa poche.
Il peut m’aider à tout y trouver, certificats d’origine à l’appui : maconha et hachisch d’Afrique, coke pure de Colombie, balladeurs mp3, caméras numériques et autres babioles d’Extrême-Orient... Tout se vend dans les ports, les dockers se paient un treizième mois en tapant dans les lots de gros.
Il pleuvra demain soir, comme tous les ans à la même date. Ca aussi, il n’y a que Daniel qui le sait.

Tout autour de la terre, des tableaux d’ailleurs ouvrent comme des fenêtres.
Cette campagne allemande au café Oro del Rhin ressemble à la fresque affichée dans le hall de l’hôtel Femina (Tiruchirapaly, Inde). Et parions que dans ce charmant village badois, un tenancier de kebab aura accroché une photo de la Mosquée Bleue ou de Topkapi, comme son collègue du snack turc de la Plaza de Armas (Arequipa, Pérou). Et caetera.

01.09.06

Montevideo

Cheveux longs, barbe fournie, yeux rouges et pull assorti : le cobrador de ce bus vient droit de Height Ashbury et de la fin des années 60.

Au-dessus de l’entrée,
une marquise aux écailles crevées,
qui tinte...
Et l’on plisse les yeux pour filtrer les miettes de Montevideo que le vent pérégrine.

Saint Antoine en plastique, priez pour moi !
Montevideo - Buenos Aires, Montevideo - Porto Alegre, Rio de Janeiro - Paris.
Jamais eu autant de billets entre les mains, autant de dates, de rendez-vous, pour aussi peu d’argent.

Mon contact m’attend à la Catedral del Sanduiche. « Je lirais El País en buvant des whiskies doubles. »
Ce qu’il n’avait pas précisé, c’est qu’il garderait ses lunettes noires, qu’il porterait une parka militaire et une barbe postiche pour se faire plus discret...
Me sachant suivi, je ne lui adresse pas la parole. C’est le serveur qui m’apporte son message, plié en huit dans le menu : « Ne commandez pas le roulé au chocolat. Il est très épais et bourré de confiture de lait. »

Quatrain vulgaire
(à la manière d’Apollinaire)

La barbe rouge orne me trogne
Longtemps que je me suis rasé
Dans le miroir mire un ivrogne
Un clochard louche aux yeux en biais

02.09.06

Montevideo - Buenos Aires

La tempête annoncée est venue dans la nuit. La jetée gronde, les lampes orange balancent, même les flaques se retroussent comme des vagues.
Le chauffeur de l’aube a mis un vieux Guns’n Roses. Son bus, plein de fêtards alcoolisés, ouvre la pluie comme un brise-glace.

Ils s’en vont un week-end s’aimer en Argentine, comme ceux qui allèrent jadis à Istanbul, Amsterdam ou Chambery. Yeux dans les yeux, petit monde fermé, ils se rêvent à l’abri du temps.
Suerte !

Le Rio de la Plata, brun et gros, comme une soupe dans les mains d’un serveur maladroit.
Le bateau aura un peu de retard, le temps que tout ça refroidisse.

- Cent briques, franchement... Qu’est-ce que c’est que cent briques ?
- Ouais, mais lui il les veut légales.
- Ah...
Thierry, Raoûl et la femme de Raoûl. Des biznesmen français. Des vrais. Des tatoués.
- Cent euros par mois, en plein cagnard. Et ils bossent comme des négros. Une maison ici, je te la construis en deux mois, je la paie cinquante plaques, je la revends deux cents.
- Ces bougnoules, tout ce qu’ils peuvent se payer ils se l’achètent.
Plus cons que dans une caricature. Un vrai feu d’artifice.
- Moi je suis cent pour cent avec Bush, mais il faut pas plaisanter. Si on est avec lui à dix pour cent, il faut qu’on ait dix pour cent des bénéfices. Mais lui, non, il veut tout garder.
- Ah, mais ça c’est les juifs, tu sais...

A Buenos Aires aujourd’hui, il y en a qui se marient, pingouins très chics, et d’autres, plus bronzés, qui reviennent juste de classe de neige.

Des personnages de roman, immobiles, regardent s’étirer les ombres du parc : celles des arbres, du kiosque à musique et des vasques de pierre pseudo-antiques. Ils espèrent voir revenir au crépuscule la silhouette, sèche et triste, de la fatale Alejandra.

Lo quiero a morir : stupéfiante reprise salsa du tube de Cabrel.
La blanchisseuse ne se souvient pas du nom du groupe qui la chante. Dommage !

102 - El Hipopotamo (San Telmo, Buenos Aires)
¿ Comment ne pas aimer un bistro centenaire au nom un peu crétin, où l’on boit le vin de la maison sur des tables bancales toutes patinées par les coudes d’habitués au long cours, où l’on secoue le cornet à dés du backgammon avec un soin superstitieux, où des couples de portègnes enfilent les ristrettos en manière de clés à leur nuit blanche, où l’on propose à la carte l’absurde Fernet-Cola et où des jeunes filles au visage fermé viennent fumer de pleins paquets de blondes en lorgnant vers la porte pour faire croire alentour à un lapin inexistant ?

« Il est interdit de cracher par terre. »
- décret municipal du 21 avril 1902

03.09.06

Buenos Aires

« Si tu n’étais pas un dimanche à San Telmo, tu n’étais pas à Buenos Aires. »

Plaza Dorrego.
feutres indigos, montres goussets, partitions de milongas
trente-trois tours du Che, de Borges et Piazzola,
l’Or des Tigres paraphé (pattes de mouches) par le Maître,
gramophones, posters, Gardel et Evita,
robes de soirée diaphanes, brochettes de gants vides, qui flottent aux étals commes des pochons pendus
et tout ces gens du monde entier qui ne cessent de prendre des photos...
(Aldo Martínez en fait de superbes. C’est son métier : pas la peine d’en rajouter.)

La Boca.
Au bout du quai tout se termine : plus de voirie, plus de collecte d’ordures. Des chiens errants aboient. Des cases de briques crues ont poussées au coeur des terrains vagues, sous des câbles électriques façon scoubidous.
Pleines brassées de maisons mortes. Des nautoniers déguenillés font traverser un Riachuelo puant, d’une épaisseur de vidange.

Caméra bien fixée sur le capot du taxi, une partie de l’équipe trinque au coca. On va filmer ici, cet après-midi. Quelques plans de plus pour ce fameux Nouveau Cinéma Argentin dont on dit tant de bien.

Cathédrale Métropolitaine.
Le beau gosse de service, couché sur une plaque d’acier, se fait tracter à 60 à l’heure par une voiture kitée. « Coupez ! », grésille le mégaphone de la réalisatrice. Près de la camionette Cascades et effets spéciaux, des chevelus se congratulent.
On dirait bien que dimanche est jour de tournage à Buenos Aires.

Centro Cultural Borges.
Sont-ce des managers ? Les italiens grisonnants filment en numérique le pas de deux d’un couple d’étudiants. C’est une danse en civil et en silence, juste le chouic-chouic des baskets sur le lino du musée. Ce n’en est que plus émouvant, complexe, sensuel.
N’y connaissant rien de rien en danse, je le clame encore plus haut : rien n’est si beau que le tango.

Ce grand marin en habits de gala, quand le métro tangue, ne bronche pas. Son gant est plus blanc que l’anneau auquel il se tient. Sous ses yeux, deux poches gonflées et mauves sont ses gallons de sentinelle.

Des petites gôthes attendent dans le hall en marbre. L’une porte des lunettes mais s’en cache.
Les portes s’ouvrent, le silence se fait. Le Rocky Horror Picture Show se vit, il ne se raconte pas.

Nous reviendrons à Buenos Aires
Pour s’y faire tirer le portrait.
Toi en duègne à l’oeil sévère,
Moi en abbé, en janissaire
Ou en lin blanc de lord anglais.
        Pour ce cliché
        Je reviendrai
Passer dimanche à Buenos Aires...
03.09.06

Buenos Aires

« Si tu n’étais pas un dimanche à San Telmo, tu n’étais pas à Buenos Aires. »

Plaza Dorrego.
feutres indigos, montres goussets, partitions de milongas
trente-trois tours du Che, de Borges et Piazzola,
l’Or des Tigres paraphé (pattes de mouches) par le Maître,
gramophones, posters, Gardel et Evita,
robes de soirée diaphanes, brochettes de gants vides, qui flottent aux étals commes des pochons pendus
et tout ces gens du monde entier qui ne cessent de prendre des photos...
(Aldo Martínez en fait de superbes. C’est son métier : pas la peine d’en rajouter.)

La Boca.
Au bout du quai tout se termine : plus de voirie, plus de collecte d’ordures. Des chiens errants aboient. Des cases de briques crues ont poussées au coeur des terrains vagues, sous des câbles électriques façon scoubidous.
Pleines brassées de maisons mortes. Des nautoniers déguenillés font traverser un Riachuelo puant, d’une épaisseur de vidange.

Caméra bien fixée sur le capot du taxi, une partie de l’équipe trinque au coca. On va filmer ici, cet après-midi. Quelques plans de plus pour ce fameux Nouveau Cinéma Argentin dont on dit tant de bien.

Cathédrale Métropolitaine.
Le beau gosse de service, couché sur une plaque d’acier, se fait tracter à 60 à l’heure par une voiture kitée. « Coupez ! », grésille le mégaphone de la réalisatrice. Près de la camionette Cascades et effets spéciaux, des chevelus se congratulent.
On dirait bien que dimanche est jour de tournage à Buenos Aires.

Centro Cultural Borges.
Sont-ce des managers ? Les italiens grisonnants filment en numérique le pas de deux d’un couple d’étudiants. C’est une danse en civil et en silence, juste le chouic-chouic des baskets sur le lino du musée. Ce n’en est que plus émouvant, complexe, sensuel.
N’y connaissant rien de rien en danse, je le clame encore plus haut : rien n’est si beau que le tango.

Ce grand marin en habits de gala, quand le métro tangue, ne bronche pas. Son gant est plus blanc que l’anneau auquel il se tient. Sous ses yeux, deux poches gonflées et mauves sont ses gallons de sentinelle.

Des petites gôthes attendent dans le hall en marbre. L’une porte des lunettes mais s’en cache.
Les portes s’ouvrent, le silence se fait. Le Rocky Horror Picture Show se vit, il ne se raconte pas.

Nous reviendrons à Buenos Aires
Pour s’y faire tirer le portrait.
Toi en duègne à l’oeil sévère,
Moi en abbé, en janissaire
Ou en lin blanc de lord anglais.
        Pour ce cliché
        Je reviendrai
Passer dimanche à Buenos Aires...

Bonus