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(2004-2017) |
Sequana 2, extrait du scénario
Scène 3 Lundi 24 janvier, 8 h. La Chapelle puis domicile des Montcour. Aube d’hiver, très pâle, un peu mauve peut-être. Au réveil, les habitants de la Chapelle ont trouvé leur quartier encore dans les ténèbres : les usines à gaz se sont arrêtées dans le courant de la nuit, les becs ont cessé de brûler. La neige tombée vers minuit a durci sur les toits et le long des trottoirs, on reprend, à tâtons et en dérapant, en soufflant de la buée, le cours normal d’une semaine de travail.
Alors que Long-Manche continue sa descente, le vendeur l’invective. Au même moment, à une dizaine de mètres derrière receleur, nous voyons descendre la petite silhouette de Rainette, emmitouflée dans un châle informe et trottant menu dans ses gros sabots. Elle avance côté mur pour tâcher de rester invisible.
Arrivé rue de la Chapelle, Long-Manche prend à main gauche. Les maraîchers, étals ouverts, prennent la goutte dans une bouteille qu’ils font tourner, attendant le client. Il se dirige vers un zinc appelé Les Ballons de la Baronne. A l’arrière-plan, on voit toujours Rainette, à moitié cachée par un tonneau, qui poursuit sa filature.
Dans le rade, des ouvriers – chemise épaisse, mégot de bleue, casquette en toile – prennent le café calva avant d’aller pointer. Long-Manche se dirige droit vers le téléphone, dont il tourne la manivelle (un Aboilard 1907 : http://www.l2l1.com/tel.htm). De l’autre main, il tient la besace avec son butin. Long-Manche – Allô ? On passe en contrechamp. On voit sa trogne, le cornet du biniou et, derrière, la vitrine du bar contre laquelle Rainette colle son visage. Expression de surprise quand elle entend avec qui cause le larron.
Plan de la rue. Rainette la remonte en courant, sans demander son reste, soulevant des petites gerbes de neige. Les maraîchers picoleurs la regardent cavaler, amusés. Un peu plus de lumière en fin de planche qu’au début : le jour se lève.
*
Chez les Montcour, au coin de la rue de Charenton et de la place de la Bastille. Appartement petit-bourgeois, meublé sans grand goût ni imagination. On peut cependant noter une tendance à la nouveauté technologique en phone, comme le théatrophone et le phonographe qui trônent dans le salon. La table du petit déjeuner est dressée pour trois personnes, avec porcelaine, argenterie et porte toasts.
Le long couloir de l’appartement. La porte de la chambre de Thibaut est ouverte et le jeune homme, encore en pyjama (une belle chose satinée avec ceinture à gland) s’est discrètement approché pour écouter la conversation.
Montcour a tiré un carnet de la poche de sa chemise et griffonne dessus à l’aide d’une rognure de crayon (on peut lire Tirant de b). Sourcils froncés et air mauvais.
Tout en poursuivant la conversation, il charge le barillet de son arme de service.
Le commissaire se retourne et découvre son fils qui le regarde. Il raccroche sans quitter des yeux le jeune homme, qui ressemble à un petit garçon.
Montcour ne prend pas la peine de répondre. Il est déjà dans l’entrée où il attrape à la volée son manteau d’hiver. Thibaut le suit sur quelques pas. Montcour lance à la cantonade – peut-être à la bonne dans la cuisine, ou à son épouse hors champ.
La porte claque derrière Montcour. Thibaut fait aussitôt demi-tour vers sa chambre pour s’habiller au plus vite.
(...)
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