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(2004-2017) |
Sequana 1, extrait du scénario
Scène 2 Il fait nuit noire, la pluie a cessé en fin d’après-midi, avec le retour du froid. L’eau qui stagne commence à geler, la boue se durcit. Quelques flocons d’une neige grise tombent sporadiquement. La scène se découpe en deux temps, un intérieur confortable, plutôt chaleureux, et le monde glacial et tourmenté de la ville inondée.
Alice, châle plié sur ses épaules, est penchée sur un énorme tome. Pile de livres, papier, buvard, encrier et lampe à pétrole pour s’éclairer. Derrière, les longues fenêtres horizontales sont pleines de nuit et floutées de givre. Elle porte ses lunettes au bout du nez et n’a pas l’air très heureuse de l’interruption.
Norero s’est approché, a mis la main sur le bureau, s’est voûté vers Alice. Il lui sourit. Celle-ci a commencé à ramasser ses affaires.
Silence d’Alice, qui range les documents dans son sac, referme les livres, ne regarde pas le grand bonhomme. Norero prend sous le bras le gros volume d’anatomie pathologique qu’étudiait Alice. Il s’adresse au dos de la jeune fille, qui lutte pour enfiler son manteau.
Norero s’approche de la jeune fille, tire sur le col de son habit pour lui aider à enfiler les manches. Alice le regarde pour la première fois, d’un air un peu revêche mais pas antipathique.
Vers la sortie. Norero ramasse la lampe à pétrole pour sortir lui aussi.
* Grand couloir carrelé, plein de courants d’air, éclairé par des lustres électriques pendant de la voûte, peinant à écarter les ombres. Thibaut est assis par terre, à quelques pas de la porte, et se lève quand Alice sort, faisant mine de pas le voir.
Alice ne se retourne pas. Thibaut galope jusqu’à son niveau. Il porte un sac en bandoulière, son béret de Camelot du Roy, un grand parapluie noir plié sous le bras.
Ils arrivent à la grande porte, ouverte en grand. A part le chemin central surélevé, qui mène du bâtiment principal à la grille, le parc est un grand marécage brun. Des voitures marquées de la croix rouge sont enlisées près des écuries. Des lumières brillent dans les ailes de l’hôpital où se trouvent les patients. Thibaut a pris le bras d’Alice pour tenter de l’arrêter.
Malgré la neige poisseuse qui tombe, elle s’engage, quelques pas en avant, sur le chemin de sortie. Thibaut ouvre son parapluie et fait mine de la suivre.
Il l’abrite de force, à nouveau à son niveau, tendant un peu son petit bras pour ne pas que le chignon de son amie se prenne dans les baleines.
* Alice, vexée par la dernière remarque, réplique d’un ton cassant. Thibaut à l’air gêné.
Thibaut est de plus en plus embarrassé, il louche un peu, ou rougit. Tous les deux, bien abrités de la neige par le parapluie. Le lecteur devine pour la première fois les formes d’Alice, ou la beauté de son visage.
Alice se marre, ce qui embarrasse encore plus Thibaut.
Le reste du trajet se fait en silence. A gauche, les toits du bâtiment de la Pitié, le clocher de l’église de l’hôpital. Il neige à flocons lourds et humides, tourbillonnants. Les cheminées fument en gris dans la lumière laiteuse. La lune joue à cache-cache avec les gros nuages. Ils sont arrivés à la grille d’entrée. Des brancardiers, leur fardeau appuyé contre le mur d’enceinte, attendent le client, à l’abri sous le porche. La rue de l’Hôpital part à droite vers la Seine et paraît luire dans le lointain.
Alice a rabattu la capuche de son manteau et s’apprête à quitter l’abri du parapluie. Thibaut a l’air préoccupé et un peu honteux de sa proposition.
Alice s’en va en direction de la Seine en crue, d’un pas ferme, la trajectoire droite, plongeant dans l’obscurité. Les hommes de la porte regardent le petit étudiant, tout seul sous son parapluie, et ricanent de sa déveine. (...)
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