01– 05.06.05
Strasbourg - Cîteaux

Chez Laurette, Baume-les-Dames
Deux lampadaires-girafes éclairent la place de l’église en plein soleil. Un bedeau distrait a du s’endormir assis sur la cellule photoélectrique.
Il y a des entrelacs celtiques ratés de part et d’autre de l’horloge du clocher. Il est deux heures moins dix. On peut jouer à s’éventer avec les pages plastifiées de la carte de jus Pampryl’.

Haïkus anxiogènes et redondants tout au long de l’autoroute.
Prenez le temps de rester en vie.
Mettez votre ceinture. Restez attachés à la vie.
Fatigués ? Prenez l’air sur une aire.
La glissière est plantée d’églantiers, fleurs écarlates, comme une couronne mortuaire déroulée sur dix kilomètres. Les talus sont semés de coquelicots.

La vallée du Doubs, parenthèse verte où tout paraît démodé, où personne n’en a rien à foutre. Un paradis de falaises, de truites et de méandres.

- Va te faire enculer, grande pédale !
Saluts virils dans un rade bourguignon, entre paysans rougeauds, ventrus, nus dans des jeans jaunes.
- T’es presbyte ?
- Nan, chuis presse-couilles !
(joignant le geste au calembour)

Abbaye de Cîteaux
Dans un replis de GR ardéchois vit l’ermite cistercien. Il se nourrit de tomates en conserves, de tablettes de chocolats cédées par des bonnes sœurs voisines et de jambons beurres laissés par des scouts de passage sous les bancs de sa minuscule chapelle.
Les herbes hautes du monastère fourmillent d’aoûtats, insectes mystérieux, invisibles et assoiffés de violence.


02– 06.06.05
Cîteaux - Bourg Argental

Pouilly-sur-Saône
Ils lisent en parrallèle, à deux bouts du bistro. Lui le canard local, éclaté en feuillets sur le feutre du billard. Elle, au coin, le Version Femina du journal télé. C’est à peine s’ils remarquent les clients qui entrent dans ce bar qu’ils se sont payés pour leur dix ans de mariage.

Aire du Bois Blanc
Forêt primitive ! Nature préservée ! Inquiétante majesté des bois archétypaux où l’homme n’a aucune place !
(En profiter pour vider sa vessie dans la fosse septique et le cendrier de voiture dans la poubelle en béton)

A Mâcon, patrie de Lamartine, un sourd-muet taxe des clopes en langage des signes.
A Villefranche, capitale des péages autoroutiers, un trombone d’alu géant ouvre la porte du Midi.

Un observatoire astronomique, perdu dans d’immenses pâturages de charolaises.

Descente sur Saint-Etienne, l’Arequipa des Andes françaises, en lacets serrés d’un col interminable. Les faubourgs, dans leurs écrins de verdure respectifs, abritent les plus vieilles usines désaffectées du monde, d’antiques logements ouvriers pas encore HLM et des chômeurs alcooliques d’avant le Déluge.
Des hordes de genêts en fleur envahissent la rocaille.

Bourg Argental et Saint Julien Molin-Molette se disputent le titre convoité de Sphincterus Mundi.
Les deux bleds comptent chacun quatre jeunes, pour autant de mobylettes. On peut espérer que, certains samedi soir, ils se retrouvent dans un village mitoyen pour vider une bière ensemble.


03 – 07.06.05
Bourg Argental - Médille

Bar le 2001, Bourg Argental
Le bistro date du film de Kubrick : revêtement de zinc irisé comme une vidange sauvage, chaises au design Salut les copains, tapisserie bucolique de fils fluos semblant réalisée par un baba fondu de LSD.

Ici, une échoppe sur deux a une enseigne cinquantenaire. C’est comme de visiter un musée des typos démodées, ou de feuilleter les pages carrés d’un Marabout Flash.

- Tant qu’on vieillit, c’est que c’est bon signe !
Fay-sur-Lignon, village ébouriffé de vent. Une église de pierre grise a été érigée sur le bord de la plus petite falaise du Massif Central. Le village entier prend un apéro du troisième âge au Bar des Amis.
- Une autre Suze, Jeannot ?
Décor de puzzles collés, aux motifs abominablement eighties (on dirait des pochettes d’albums de Sabine Paturel).
- Y’a des gens qu’ont pas de valeurs.
- Pas de valeurs…

Soleil, nuages sur le pierrier :
le Mézenc version gâteau marbré.

Farniente, parce qu’il n’y a rien à faire.
On entend des vaches paître à des kilomètres. La dernière voiture est passée il y a six heures. Les montagnes moutonnes, belles et vides, aussi loin que portent les yeux.
Tellement peu de choses que c’en est presque incroyable.

Né pendant la guerre, veuf, germanophone puis néerlandais d’adoption, a travaillé dans la couture et la restauration, une leucémie guérie, une bégaiement sous contrôle, deux bâtons en fibre de carbone pour la pratique hygiéniste et quotidienne du bienfaisant speed walking.

Le ciel souffle tout ce qu’il peut, là-haut, en enfer. Près du feu, dans la grande boîte de pierre, la vie fait plutôt penser à une version rurale du paradis.
Dans un canard local, la rubrique « Ma grand-mère est une sorcière » enseigne comment soigner les panaris avec des cataplasmes d’épinard Bon Henri.
Anti-voyage, photos d’inuits, Rilke, Coelho ou Tolkien en cas d’insomnie.


04 – 08.06.05
Médille - Les Vans

Café de l’Univers, Pradelles
Vue panoramique, au fond du rade, sur un val perdu tout dégradé de vert. Quelque part là en bas, Manu Larcenet se cache des sollicitations de ses milliers de fans.
Dans le village, deux maison sur trois ont été abandonnées. Un vieux taille les herbes au bord de la départementale, fume sans les mains un mégot coincé derrière son masque de protection.
« Time marches on » : Johnny Walker passe devant un transatlantique. Sur le mur voisin, le calendrier Henri Blanc est encore daté de 2003.

Dans le bois de Païolive, les concrétions géologiques imitent les rochers de béton des Buttes Chaumont.
En haut, au bord de l’à-pic, le parking privé de l’ermite héberge sa 306. La théotokos parturiente et le pantocrator rayonnant ornent les murs de sa chapelle privative. Faites silence : le saint homme cavale peut-être dans les rochers, robes retroussées, comme un cabri aux genoux blancs.

Vous trouvez l’Ardèche vide ? Essayez la Lozère !

Pétales pourpres dans les feuilles ajourées des grilles. Nayade en bord de piscine trouble. Fin d’après-midi méridionale dans le ronron électrique du filtre d’évacuation. Je parle de ces énormes sangsues amphibies qui se laissent flotter entre deux eaux, dans les bahines d’Acapulco.

Aux terrasses, des clients encore bronzés de l’hivers, des agriculteurs en chariotes diesel, des hippies blanchis sous le combi. Murs jaunes, volets bleus, toits roses et blanc cassé. Feuilles coupantes, cieux lavés, terre craquelée. Le temps dure pareil ; on dirait le Sud quand même.

Sunset Chanel est une chaîne en 16/9ème numérique qui diffuse, en continu, prise fixe et temps réel, des levers et des couchers de soleil sur le monde entier. Il n’y a d’autre son que la BO d’origine. La qualité de capture est irréprochable, l’audience en perpétuelle augmentation.


05 – 09.05.05
Les Vans - Saint Pons

Cyber Bar des Sports, Les Vans
A Aubenas, demain, c’est le premier Championnat de France de N’importe Quoi. Jour faste pour l’histoire du sport.

Les hypermarchés ne font pas d’aussi belles ruines que les châteaux du 12ème siècle : inquiétantes boîtes tagguées, rouillées et maculées de suie en bord de nationale.
Traverser Alès sans s’arrêter. Après les déserts ardéchois, la Sarreguemine du Sud n’a rien d’affriolant.

Le Patropi, Sommières
Mickey 3D sous les arches millénaires d’une bastide occitane.
Le patron ressemble à Hattori Hanzo, version bad boy gitan qui joue du laguiole.
(Ca c’est rien de le dire)

Un chauve hilare ouvre la permanence du Parti Socialiste sur la place de l’Hôtel de Ville. Depuis 1905, cette porte a été déverrouillée près de sept cent mille fois.
Une cravate rayée sur un débardeur noir : il est indéniables que les jeunes filles du Gard font des efforts vestimentaires.
Du barouf et du soleil plein les rues en pente. Sète, c’est bien.

Champs de lampadaires neufs, digues de remblais : une armada d’immigrés en gilets fluos fouissent la plage de Sète sous le cagnard, retournant chaque mètre carré dans l’espoir d’en exhumer le cadavre d’un poète symboliste ou d’un chanteur à moustache. Après, ils pourront couler leur dalle de béton géante sur tout la longueur du littoral et y poser leurs beaux Airbus A380.

Le ruban de gravier, entre Méditerranée et voie rapide, fait regretter Long Island, Ipanema et Bruxelles-les-Bains. Des vieux beaux décolorés regrillent une couenne déjà noire. Ils surveillent les flots de derrière leurs Ray Bans, attendant le retour de juillet et des Hollandaises en bikini.

A Montpellier j’ai deux oncles, deux tantes, un cousin, un parrain et un éditeur.
A Montpellier, cet été, je ne suis pas passé.

Monsieur Moustache nous appelle « les enfants » parce qu’il a l’âge d’être notre père. Il fait ressembler son hôtel à une chanson de Joe Dassin. A Saint Pons, après une longue journée de route, il est recommandé de se requinquer aux grands crus. Santé !


06 – 10.06.05
Saint Pons - Condom

Labruguière, dans le Tarn, jour de marché.
C. Wyllis et sa Cover Team proposent, au stand musique, l’ultime compil’ de vingt titres Fiesta Latina. Le vendeur à nuque longue écoute la version locale du Schlager à fond les ballons : la oumpapa est partout la même.

Orgie de cerises, d’abricots sanguins et d’accent du sud dans le bon matin tiède.

Les poules d’eau brament sous les berges, les libellules copulent en plein vol. De temps en temps, un gros poisson noir clapote à la surface, dérangeant les séminaires dansants des araignées flottantes…
Dans la nuit aquatique qui viendra bien assez tôt, les noyés de Saint Cricq sortiront de leurs tombeaux de vase, leurs bras comme de longues anémones à cinq doigts. Des cerisiers sous-marins déploieront leurs branches torses, chatouillés par les vents froids de courants invisibles.

« Merde ! Merde, merde, merde ! »
Le touriste immatriculé 59 cuit et recuit sa tonsure au soleil du sud-ouest. Il a mis dix minutes à monter les bonnes focales malgré les jérémiades de sa mégère, et voilà qu’un con de van de la voirie vient se garer au milieu de son cliché vieille France. C’est pas comme si le parking à cinq mètres était plein. Merde, quoi, c’est mes vacances !
Les jeunes balayeurs sortent du véhicule, nonchalants et bronzés sous le marcel. Le Doisneau du Nord, en bermuda et socquettes de tennis, trépigne comme un gosse à qui on viendrait de piquer son Royal Cône.

Pétanque sous les sureaux. Des magrets sur pattes trottinent près d’une écluse aux cataractes beiges. Il fait au moins 75 degrés sous abris.

A Condom, dans le Gers, coule la Baïse.
Fallait-il qu’il vous en informe ?
Mmmh ?

Sur la route de Saint Jacques patrouillent les plus vieux scouts de la terre.
Au moins, on est sûr qu’ils sont pas au bistro.


07 – 11.06.05
Condom - Bazas

Chez Churchill’s (The British Grocery In The Gers), les autochtones d’adoption vont chercher dès le matin la pâte de levure de bière réclamée par leurs épouses enceintes.

Il y a un temple des rats à Bénarès, un sadhu enterré jusqu’au cou à Udhaipur et des défilés d’éléphants à Ernakulam. Le petit libraire vend à moitié prix les vieux guides Larousse cartonnés, entre deux piles de Marc Levy et une du Prix des Lectrices d’Elle.

Bar Tapas Le Tonneau, Eauze.
Détective Conseil, le jeu mythique de Descartes coûte 45 euros sur ebay et un euro de la main à la main sur le marché aux puces. Un couple de retraités anglais vient d’investir dans deux volumes dépareillés d’une encyclopédie années 30 et dans une cloche ornementale pour la grille de leur futur manoir.

Des vignes pâlies, des champs de blé, des pruniers, des collines sous un ciel désespérément vide.
Le camion de fourrage descend la côte en pétaradant : écoutez les Gascons, c’est tout la Gascogne.

« MARIE
REINE DU MONDE
PROTÈGE LA TERRE
PARCOURUE EN TOUS SENS
PAS LES CYCLISTES
AMOUREUX
DE LA BELLE NATURE
DU SEIGNEUR »
Notre Dame des Cyclistes, Labastide d’Armagnac.
L’Abbé Massie, fondateur du sanctuaire, poste devant sa grille ornée de grands bis symétriques. Dans le cimetière des sportifs tombés au champ d’honneur, un épitaphe de Goldman en cerise de bon goût.

Photos crénelées sur une vieille toile cirée. On parle de fantômes sans visages, de rancœurs d’il y a trente ans. Un molosse aboie dans la cour. Une fois la côte passée, les arbres reparaissent, et avec eux reviennent une très ténue odeur d’enfance. Ici on dit « Adieu » pour se saluer : adieu, forêt des Landes !

Un couple en premier rendez-vous sur les remparts de Bazas.
Elle compense la timidité de sa proie par un enthousiasme guilleret et un peu emprunté. Elle a le sourire infiniment blanc, la mèche décolorée qui court sur le sommet du crâne, les paupières rose nacré assorties aux lèvres. Elle mange autant des yeux que du bec : celui-ci est bien ferré ; il n’a plus l’ombre d’une chance.

- C’est pourquoi les fleurs ? Pour Jésus ? Pour le Bon Dieu ?
La place de la cathédrale est jonchée de pétales de roses et la gamine s’émerveille d’un mariage passé sous un ciel violet, vibrant d’hirondelles.

Un énorme charançon se débat dos au carrelage. De l’autre côté de la cloison, un campeur lutte à grands bruits conte sa constipation.


08 – 12.06.05
Bazas - Biscarosse

Pour de vrai ou en souvenir, il y a :
- des sangsues dans les herbes humides
- des crocodiles dans la Baie de Rio
- des jambons bayonnais dans les supermarchés souterrains de Tokyo
Il est toujours quatre heures à la pendule d’argent, qui ne ronronne plus au salon. L’ancienne marraine de guerre parle maintenant des piqûres qui rendaient stérile, pour éviter que nos soldats n’engrossent les Allemandes, et de la tristesse de leur vie après leur retour.

Une paillote du Pyla a été victime d’un attentat pyromane.
Ne restent que des poutres, façon charbon pour barbecue, des piles de polos carbonisés, un frigidaire napalmé et un Pompei de sucettes dans un distributeur fondu.

Duel de beach tennis à Biscarosse. Un garçon cul nu, en t-shirt pistache, est le seul spectateur de ce Rolland Garros transgénération, option concours de quéquette. Le beau-père met la pâtée à son gendre, méthodique et calme, pour la vertu de la leçon.

Le pire de la Californie sur dix kilomètres carrés. Pavillons fleuris, rues proprettes, Brads à vététés, vieille peaux habillées comme des sacs, gosses affublés de prénoms ridicules, voitures de sport et commerces cubiques, alignés méthodiquement le long d’avenues rectilignes.
Quelqu’un a passé au karcher un rêve d’enfant qui n’était même pas à moi. A marée basse, ne reste de vivant que les petites méduses sombres que l’on espère non urticantes.

Une famille d’Hollandais à chien-chien, la poussette ensablée jusqu’aux essieux, se prend en photo devant le bout du monde illuminé d’un couchant pastèque mûre.
Cachés par les dunes, deux surfeurs se mouchent en regardant partir le jour, comme si c’était la fin de Love Story.


09– 13.06.05
Biscarosse - Mauzac

A Uzeste, en Gironde, coule le Ciron.
Décidément.

Il fait bon retrouver les cuisines imprégnées d’oignon, les toilettes obscures comme des grottes, les lambris écaillés et les petits noirs à un euro. Dépôts de pain, monuments mineurs et départementale reliant Nulle Part à Ailleurs.
Noms de rues loin du lyrisme des villes nouvelles, hommages aux maires disparus, au bon sens terrien : une église Place de l’Eglise, un pré dans l’impasse du pré. C’est pas difficile, pourtant.

Les vignobles ont tous reçu des noms de saints : sur les hauteurs de Bordeaux ne doivent pousser que des crus notables, béatifiés et collet montés. Un long chien, assommé de chaleur, somnole dans la salle principale de l’hôtel-restaurant-bar-halte-routier-sandwichs de Sauveterre.

Soirée orageuse et moite, chargée d’insectes. Du bois humide et du plastique brûlent dans l’air orange. Ca sent l’Inde dans la vallée de la Dordogne.

Défi, le magasin de l’économie. Provenance directe d’usines et de saisies de douanes.
Un écran plasma large comme un pare-chocs de Cadillac, fendu par sa tombée du camion, côtoie des barils de dix litres d’olives vertes et des œufs de Pâques belges de contrebande.

Nuit à l’Auberge Sanglante de Mauzac. Les deux femmes empoisonnent leurs clients isolés avec des truites meunières marinées dans le phosphore. Leurs affaires sont troquées à Lalinde contre de l’héroïne, leurs organes livrés en pâture au dogue de garde, les bas morceaux jetés dans l’écluse et les os enterrés dans le compost pour les rosiers. Leurs victimes favorites sont les évadés du centre pénitencier voisin : personne ne vient les réclamer et parfois, lorsqu’elles renvoient une tête aux autorités, se voient-elles accorder une prime en espèce ou une coupe de citoyenneté.


10 – 14.06.05
Mauzac - Saint Céré

Le long du fleuve, les habitants ont déterré de grosses truffes de pierre orange en forme de remparts, de châteaux forts ou de palais. A Souillac, le musée du président Jacques Chirac accueille l’expo itinérante des photos d’Artus-Bertrand.

Six cent enfants, entre huit et douze ans, dans le kilomètre et demi des grottes de La Cave.
La salle des lumières noire résonne comme une usine de poulets en batterie.

Le bas-limougeaud en costume bleu nuit accorde sa fausse harpe de troubadour sur un banc de pierre. Il est assis à la quatorzième station du chemin de croix de Rocamadour, là où, dit-on, Poulenc retrouva une foi égarée des années plus tôt.
Dans la chapelle de la Vierge Noire, une cloche miraculeuse sonne pour les marins de l’Atlantique en détresse, rappelant que ce rocher est le frère à pied sec du Mont Saint-Michel.

Un clone de Patrice Carmouze tient l’hôtel pour VRP de Saint-Céré : même moumoute, même humour vasouillard. Les couloirs ressemblent à ceux du château bavarois dans le jeu d’aventure Indiana Jones et la Dernière Croisade.
Dans la Lot, comme partout ailleurs, les anglo-saxons refusent de manger une pièce de bœuf qui n’ait pas la consistance et le goût du vieux cuir braisé.


11– 15.06.05
Saint-Céré - La Bourboule

Une moitié de la Dordogne est montée en brume et fait un ciel gris sur la vallée.
Elle dit des maisons qu’elles sont coiffées comme Amélie Poulain : une frange d’ardoise sur le devant et le côté des toits qui rebique, comme en anglaises.
Sur l’autoradio, Sainte Florence Aubenas Ressucitée Des Morts répond aux questions des auditeurs. Puis Simon and Garfunkel dénoncent, mezzo voce, les méfaits du silence.

TOUS ESCLAVES DE LA MACHI
Le pamphlet s’arrête ici, bombé en noir sur le béton cru d’une usine désaffectée.
Tous à la merci de la police, tous victimes de la censu

Après le café, recoiffant de la main une mèche poétique, il sort le livre de poche de sa veste en daim et entreprend de relire La Princesse de Clève. Nous on compose des poèmes en terrasse, noyés, face aux thermes, dans une foule des curistes en chemisettes. Si ça c’est pas un concours de snobisme, c’est que je ne m’y connais vraiment pas.

Le funiculaire qui montait aux Charlannes a été supplanté par le télécabine alpin. Les traverses, sur leur digue de pierre, sont envahies d’herbes folles. La crémaillère sèche la graisse de ses engrenages au rythme imperceptible des volcans d’Auvergne.

Mon curé chez les curistes, Bains à bulles à la Bourboule… le coin se prête aux super titres de romans de gare. Une ville qui a été riche il y a soixante ans, qui est aujourd’hui vieille et belle, tenace comme une baronne centenaire qui refuse de lâcher l’héritage. Il y a certainement ici quelques uns des plus beaux hôtels décatis au monde.

Long Bouc dévore son steak sans prêter attention au décor : lions en stuc, faux Klimts géants, et un portrait du docteur Gachet façon Cap’tain Igloo.

Après avoir flambé un loyer et demi à la boule du casino, l’asthmatique en soins peut se réconforter à coups de Pelforth dans l’unique bar-à-jeunes de La Bourboule. AC/DC en live finira d’essorer ses tympans du maléfique cliquetis des jetons.

Carottage dans la bibliothèque de l’Hôtel de Florence :
- un numéro de Réveillez-vous, l’un des organes des Témoins de Jéhovah
- un OSS117 défoncé, avec un gros flingue en couverture
- Le Feu au tutu, Harlequin cochon écrit en deux nuits par un ancien khâgneux
- Pélagie-la-Charrette, LA pierre angulaire du nouveau roman québécois


12– 16.06.05
La Bourboule - Paray-le-Monial

Sous le crachin, un long curé en soutane presse le pas. Les bains de Mont Dore ont encore la tête dans le nuage. Le patron du bouchon œuvre déjà à ses plats du jour, tout en chantant sur Aznavour. Toile cirée à carreaux, vinyles cloués au plafond et, debout au coin, une vieille paire d’authentiques télémarques.

Lacets uniformes de brume. De belvédère en belvédère, les vues sur le Parc National des Puys d’Auvergne est absolument vide. Une dame blanche stagiaire fait du stop dans une épingle à cheveux, attendant de pouvoir sauver son premier voyageur en perdition.

Ablution de mouettes dans la piscine circulaire d’une station d’épuration. Autoroute périphérique, Clermont.

On boit du Pepsi en faisant des blagues de très mauvais goût.
Le double effet Vichy.

L’hôtel, en cours de rénovation, tombe en ruine sur le coin bar-tabac. Entre les structures de la verrière, un filet protège les clients des chutes de moellons. On dirait Prague côté façade, Bombay côté toilettes.
Les villes d’eau ont perdu de leur superbe et doivent faire le lent apprentissage de la pauvreté. Des fous, moitié clochards, arpentent la place de la mairie.
La tenancière a trente ans de plus que la retraite et se souvient encore des clients allemands, si propres, si polis.

Il y aurait une fascinante étude à réaliser sur les essuie-mains de toilettes publiques.
Du torchon à vaisselle à la serviette de bain parfumée, en passant par les feuillets de papier recyclé qui viennent par trois, les rouleaux de distributeurs à molette mal prédécoupés, les tortillons Lotus certainement inventés lors d’une beuverie d’ingénieurs, voire le rouleau de pécu brun-rêche et multiusage.
Evidemment, une partie de cette thèse devrait être consacrée à la future et inévitable hégémonie des souffleries électriques, qui finiront de niveler cette aberrante disparité technologique.

A Paray-le-Monial, Marguerite-Marie a vu le Sacré Cœur de Jésus, qui en a profité pour lui faire une déclaration d’amour (il devait être ventriloque des ventricules). Son mentor s’en est par la suite trouvé canonisé, invitant Jean-Paul II en tournée.
Il y a aussi une basilique, des Jésuites, le plus vieux musée d’art sacré de France et, près de la tour Saint Nicolas, un bar qui sert de vrais Side Car shakés selon les proportions du Livre.
Un sanctuaire, on vous dit.


13– 17.06.05
Paray-le-Monial - Besançon

Partout les mêmes vieux un peu gras, avec les mêmes casquettes un peu molles, qui petit déjeunent au ballon de rouge en parlant du temps qu’il fait ou qu’ils va faire. C’est la France. A quelques jours près, c’est l’été.

Glauque Bourgogne, avec ses châteaux d’eau pour uniques montagnes et ses flammes FN au dos de chaque céder le passage. Un pays de poivrots, de moissonneuses-batteuses et de petite misère héréditaire.

‘Cause you had a bad day
You’re taking one down
You sing a sad song
Just to turn it around…

Celle-là est bonne première au concours de la diffusion radio. Sans doute démodé depuis décembre outre-Manche-Atlantique.
Les lycéens battent le pavé dolois entre deux épreuves du bac.

Black Velvet, timbalada, échanges de conseils de lecture.
La Vie selon Gus Orviston (The River Why) de David James Duncan. Un écrivain pêcheur, montanais, moitié mystique, moitié sallingerien. Peut-être plus tard, les déambulations transatlantiques de Nikki Gemmel.
10/18 est un éditeur bien éclectique.

Dans Les Bougon – sans doute la meilleure série télé en langue française de tous les temps – le gros lard qui joue un Junior colérique est le même que celui qui incarne le flasque Hurley dans Lost.
Quelle crisse de surprise !

La forêt sur la colline, derrière les toits et la cloche à fromage en mosaïque de l’église.
Côté jardin, il n’y a plus un bruit. Besançon dort depuis un bail, de son long sommeil bourgeois.
Au terme de la Grand’Rue, au Musée du Temps, un Pendule de Foucault électromagnétique continue de signaler notre progression dans l’espace en silencieuses oscillations.


14– 19.06.05
Besançon - Strasbourg

Vicent Cassel, période Sur mes lèvres, veut tout savoir de mon mémoire de maîtrise. Il m’offre en cadeau un vieux Unearthed Arcana, puis je pars faire du BMX à Aix-en-Provence.
Ensuite, je me réveille.

« Dans le nord de la France
Et le grand matin blanc
Nous parlons décroissance
En mangeant des croissants »
(on dirait du Lamartine, en mieux)

Retour à Baume-les-Dames : on capte à nouveau les stations allemandes. Comme dit Claire : « odeur d’écurie ».
Sur la terrasse du Chez Laurette, une douzaine de trentenaires venus là pour une noce de gendarme font l’apéro au Ricard. On se croise sur l’axe est-ouest : ce que nous sommes et ce que nous serons (ce que nous ne voulons pas devenir).
Il est maintenant temps de partir, de rentrer, de repartir.
Un saxophoniste fait trois gammes, fenêtre ouverte, avant d’aller se recoucher.